dimanche 18 mars 2012

Faut-il vraiment raser la Constitution ?

Il ne faut pas raser la Constitution pour en écrire une autre à partir de zéro si cela contraint à soumette en bloc la nouvelle Constitution au référendum. Il vaut alors mieux procéder par une série de révisions distinctes, chacune étant soumise séparément au référendum.
Pour une Assemblée constituante sous trois conditions
Nombreux sont ceux qui soutiennent la formation d’une Assemblée constituante chargée de réviser la Constitution. Je soutiens moi-même cette proposition (voir ici) sous trois conditions : i) introduction préalable d’un véritable droit de référendum d’initiative populaire (déjà pour adopter les modalités de l’Assemblée constituante), ii) tirage au sort des membres de l’Assemblée constituante, et iii) le projet de Constitution rédigé par l’Assemblée constituante devra être soumis au référendum point par point (et non pas en bloc).
Soumettre le projet de Constitution en bloc au référendum peut contraindre le peuple à accepter des modifications dont il ne veut pas, mais qu’il doit adopter s’il préfère globalement la nouvelle Constitution à l’ancienne. A la limite, le peuple peut même être contraint d’accepter un paquet dont il rejette tous les éléments (paradoxe d’Ostrogorski). Le vote en bloc sur un paquet peut donc être très trompeur, même sans malveillance de la part de ceux qui nouent le paquet (c’est-à-dire même sans glisser des réformes que le peuple ne veut pas dans un paquet contenant aussi des réformes que le peuple veut).
La légitimité populaire l’emporte sur l’esthétique
Si on rédige une nouvelle Constitution en partant d’une feuille blanche, il se peut que ce soit difficile de passer de la Constitution actuelle à la nouvelle Constitution par une série de modifications distinctes que l’on puisse soumettre séparément au référendum. Mais faut-il partir d’une feuille blanche ? Il vaut mieux réviser la Constitution point par point, en commençant par les points les plus importants.
Il est possible que la nouvelle Constitution serait plus élégante, si on la réécrivait en partant de zéro. Mais l’esthétique est une considération secondaire par rapport à la priorité que constitue la légitimité populaire : il est de première importance que le projet de Constitution soit soumis au peuple point par point (et non pas en bloc). Au cas où cela implique qu’il faut procéder en révisant la Constitution actuelle par une série de réformes (plutôt que de raser la Constitution actuelle pour la réécrire en partant de zéro), alors procédons ainsi. Cette approche permet tout-à-fait de révolutionner la Constitution (en commençant par l’introduction d’un véritable droit de référendum d’initiative populaire).

jeudi 1 mars 2012

Pour une Assemblée constituante, sous trois conditions

Après les réactions suite à mon article intitulé « Contre une Assemblée constituante », ma pensée s’est précisée. Je suis maintenant favorable à la création d’une Assemblée constituante sous certaines conditions. Premièrement, le projet de Constitution qu’elle aura mandat de rédiger devra être soumis au référendum point par point (et non pas en bloc). Deuxièmement, ses membres seront tirés au sort (et non pas élus). Troisièmement, un véritable droit de référendum d'initiative populaire (permettant au peuple de modifier la Constitution et obligeant toute modification de la Constitution d'être soumise au peuple) devra préalablement être adopté.

Le projet de Constitution doit être soumis au référendum point par point
Si  le projet de Constitution rédigé par l’Assemblée constituante est soumis en bloc au référendum, cela peut conduire à un résultat qui ne correspond pas à ce que veut le peuple.

Premièrement, il y a le risque que l’on mette dans le paquet des réformes dont le peuple ne veut pas, mais que l’on parviendra à faire passer parce qu’elles se trouvent dans le même paquet que des réformes que le peuple veut. Il est presque certain que ce risque se réalisera si les membres de l’Assemblée constituante sont élus. Mais ce risque existe aussi (dans une moindre mesure) s’ils sont tirés au sort. En effet, le tirage au sort n’est pas nécessairement parfaitement représentatif (notamment si certains types de personnes ont davantage tendance à se récuser que d’autres après avoir été tirées au sort) et n’empêche pas complètement la corruption (il sera toujours plus facile de corrompre un petit groupe de personnes que le peuple lui-même). Des problèmes de représentativité et de corruption peuvent donc subsister même dans le cadre du tirage au sort.

Deuxièmement, soumettre un projet en bloc au référendum peut contraindre le peuple à accepter un paquet dont il rejette tous les éléments, et ceci même si ces éléments sont indépendants les uns des autres. J’explique ici ce paradoxe mis en évidence par Ostrogorski. Cela signifie que le vote en bloc sur un paquet peut être très trompeur, même sans malveillance de la part de ceux qui nouent le paquet (même sans glisser des réformes que le peuple ne veut pas dans un paquet contenant aussi des réformes que le peuple veut). Ce risque existe même si les membres de l’Assemblée constituante sont tirés au sort.

On dira que soumettre chaque réforme de la Constitution au référendum prendrait trop de temps. Mais avec plusieurs référendums par an, il serait possible d’éliminer les plus gros défauts dès la première année. Et en 10 ans, il serait possible d’effectuer de nombreuses modifications de la Constitution (par exemple : 5 réformes par an, cela fait 50 réformes en 10 ans). Il n’y a pas une urgence telle qu’elle justifierait de court-circuiter le peuple en ne lui soumettant au référendum qu’un gros paquet tout ficelé à accepter ou refuser en bloc.

Il faut respecter le principe de l’unité de matière : des questions différentes ne doivent pas être mises dans un même paquet lorsqu’elles sont soumises au référendum. Ce principe est important aussi pour les réformes constitutionnelles.


Les membres de l’Assemblée constituante doivent être tirés au sort
Pour éviter que les partis, avec l’avantage que leur procure leur appareil bien rodé pour les élections, ne dominent l’Assemblée constituante, il faut que cette assemblée soit tirée au sort. Comme le souligne Etienne Chouard : « Ce n'est pas aux hommes au pouvoir d'écrire les règles du pouvoir » (voir ici).

Les partisans d’une Assemblée constituante élue placent certes des garde-fous : « elle sera élue à la proportionnelle intégrale sans seuil, avec la parité. Les parlementaires en exercice ne pourront s’y présenter et les élues de la Constituante ne pourront être candidats aux élections suivantes. Les modalités de l’élection et du débat public seront établies après consultation des organisations sociales » (voir ici). Ces garde-fous permettent une meilleure représentation des petits partis et empêchent que les mêmes individus ne dominent à la fois l’Assemblée constituante et le Parlement. Mais ce seront quand même les mêmes partis qui domineront l’Assemblée constituante et le Parlement, ce qui leur permettra de rédiger les règles sensées limiter leur propre pouvoir.


Il faut préalablement introduire un véritable droit de référendum d’initiative populaire pour les modifications de la Constitution
L’Assemblée constituante n'a pas le droit de confisquer la capacité à modifier la Constitution: de simples citoyens (mêmes pas membres de l'Assemblée constituante) doivent pouvoir lancer un référendum d'initiative populaire pour proposer une modification de la Constitution, et leur proposition doit être soumise en votation populaire si les signatures requises ont été réunies dans les temps impartis.

Le droit de référendum d'initiative populaire constitutionnel doit être introduit avant la création de l'Assemblée constituante. Il est urgent d'adopter le principe « le peuple, et uniquement le peuple doit pouvoir modifier la Constitution ». Or je crains que l'Assemblée constituante s'enlise. Il ne sera déjà pas facile de se mettre d'accord sur ses modalités. Certains veulent par exemple que les membres de cette assemblée soient élus, alors que d'autres (dont je fais partie) veulent qu'ils soient tirés au sort. La voie de l'Assemblée constituante ne doit pas retarder l'introduction d'un véritable droit de référendum d'initiative populaire qui est une réforme beaucoup plus modeste (et simple) qui permettrait déjà d’ouvrir la porte de la démocratie. Il ne faut pas attendre que l’Assemblée constituante introduise un véritable droit de référendum d’initiative populaire. Au contraire, le droit de référendum est une condition préalable à l’instauration d’une Assemblée constituante. En effet, la création de l’Assemblée constituante doit être adoptée en votation populaire. De plus, un véritable droit de référendum d’initiative populaire doit déjà exister pour que différents groupes de citoyens puissent proposer en votation populaire leurs modalités pour l'Assemblée constituante.

Pour ma part, lorsqu'un véritable droit de référendum d'initiative populaire aura été introduit, je défendrai la proposition d'instituer une Assemblée constituante dont les membres seront tirés au sort, et qui aura pour mandat de rédiger une proposition de Constitution qui sera soumise au référendum point par point (et non pas en bloc).